« Birdie, pour la centième fois il n'y a pas de monstres dans ton placard », répéta une dame âgée à la chevelure d'un blanc-gris insistant, un sourire bienveillant sur le visage. Comme un geste automatique, celle-ci ouvrit en grand le meuble se trouvant juste en face du lit dans lequel je me trouvais. Du haut de mes 6 ans, j'avais déjà une imagination débordante et bien que ma grand-mère tentait du mieux qu'elle pouvait de me rassurer, je ne pouvais m'empêcher de laisser vagabonder mes pensées à des peurs communes. « Tu vois ? Il n'y a rien, absolument rien », me dit-elle alors pour me convaincre une fois de plus. Puis elle vînt s'assoir à mes côtés, collant son corps chaud contre le mien. Je pouvais m'imprégner de sa douce odeur d'eau de toilette qui enivrait mes narines d'un parfum paradisiaque. J'aimais ma grand-mère et pour rien au monde je ne l'aurais échangé. Elle m'avait élevé alors que mon père avait abandonné ma mère lorsqu'il avait appris pour ma conception. C'est ce que l'on nomme plus communément un lâche, tout simplement. Du coup, celle qui m'avait mise au monde avait dû s'occuper toute seule de moi et travailler davantage afin que je ne manque d'aucune chose. Malheureusement cette dernière périt dans un accident de voiture alors qu'elle rentrait du travail. C'est donc ainsi que je fus confiée aux soins de ma grand-mère qui m'accueillit à bras ouverts. Rien que pour cela elle aurait ma gratitude éternelle.
Quelque peu rassurée, je lui rendais un grand sourire enfantin parsemé de ci de là à cause d'une visite récente de la petite sourie. « Mamie tu peux me lire une histoire s'il te plait ? ». Je me serrai un peu plus contre elle et la dévisageai de mes yeux implorants. J'avais le don de la faire craquer. « Alalah ! tu auras ma peau un jour mon petit oiseau... bon choisi le livre que tu veux ma chérie ».

« Et Mamie regarde l'éléphant ! T'as vu comme il est grand ?! ». Cette journée là resterait à jamais gravée dans ma mémoire, dernier souvenir d'une époque révolue. J'avais 9 ans et grand-mère m'emmenait pour la première fois au Zoo. J'étais aux anges, courant de droite à gauche pour en voir un maximum si bien que ma pauvre tutrice peinait à me suivre. « Oui oui j'ai vu ma chérie, mais calme-toi voyons sinon Mamie ne tiendra pas longtemps.. », dit-elle toute essoufflée alors qu'elle tentait de tenir l'allure. Riant à pleines dents, les yeux émerveillés parce que je voyais, je parvenais difficilement à me calmer. Mais je finis par enfin m'arrêter devant l'une des cages. « Tigre du Bengale, élevé en captivité ». Je restai littéralement scotchée devant cette vitre pendant que je dévisageai cette bête sauvage si imposante et pourtant si inoffensive derrière cette glace. Mais malgré ça je ne pouvais qu'éprouver un énorme frisson parcourant mon corps de part et d'autre. C'était exceptionnel comme sensation, rien n'était comparable. Savoir que ce prince de la jungle aurait pu me déchiqueter en mille morceaux s'il en avait eu l'occasion me faisait me sentir tellement invincible. Cependant il faut croire parfois que la vie a un drôle de sens de l'humour puisque c'est à cet instant précis que cette dernière décida de m'enlever une partie de moi-même, une chose extrêmement précieuse pour n'importe quel humain : la vue. En effet, alors que je me sentais pénétrée par les iris du fauve, un voile noir vînt se dessiner devant mes yeux. D'abord flou, je fus ensuite envahis par le noir le plus complet. Une sorte de blackout dont je ne parvenais plus à m'échapper. Javais beau frotter mes yeux, essayer de me dégager de cette nuit soudaine mais les ténèbres m'avaient englouti, j'étais parti.


15 ans plus tard - Hôpital St Mary.

« Attendez ici Mlle, un médecin va venir vous voir ». On venait de me poser dans ce qu'il semblait être un lieu commun à plusieurs malades vu que tout autour de moi un immense brouhaha de questions et de supplications résonnait. L'endroit devait être bondé ce jour là. S'en était presque trop pour mon ouïe sur-développée qui cherchait à capter chacune des conversations. Mais alors que je me perdais dans cette cacophonie ambiante, quelqu'un s'approcha de moi avant de me dire : « Bonjour Mlle.. Summer-Lloyd, je suis le Docteur Blackwell, je vais m'occuper de vous ». Malgré son ton quelque peu agacé, comme s'il aurait voulu être plutôt être ailleurs à ce moment là, je fus plus que séduite. Allez savoir pourquoi. Patientant, assise sur le lit sur lequel on m'avait déposé, je pouvais entendre le bruit des feuilles de mon dossier. « Alors alors.. vous avez fait une chute et en tombant vous vous êtes légèrement ouverte le lobe frontal.. ». Je le laissai lire tout ça, écoutant avec plaisir le son de sa voix. Elle avait le don de me donner des frissons. C'était un véritable plaisir. « Il va vous falloir probablement des points de suture.. hum okay.. vous voulez bien regarder et suivre la lumière s'il vous plait, je veux vérifier qu'il n'y a aucun contusion interne ». Il venait probablement de sortir leur petite lampe comme j'avais déjà pu le voir à la TV avant l'écran noir omniprésent. « Ce n'est pas l'envie qui m'en manque Docteur Blackwell mais je risque d'avoir du mal », ne pus-je m'empêcher de répondre en me moquant de lui. Quelque peu désarçonné celui rétorqua de plus bel. « Ah bon comment ça ? ». « Hum eh bien si vous aviez lu davantage mon dossier et non pas juste feuilleter le tout à grande vitesse, vous vous seriez rendu compte que je suis non voyante ». Beaucoup de patients l'auraient pris mal à ma place mais moi non. A vrai dire je m'amusais de la situation. Mes paroles durent sûrement le tétaniser puisqu'il fallut quelques secondes au médecin pour m'adresser de nouveau la parole. « Merde ! Afin je veux dire excusez-moi.. ». « Ce n'est pas grave, vous n'être pas le premier. Mais pour la peine vous allez devoir vous faire pardonner ». Le jeune homme, surpris, répondit aussitôt avec un large sourire que je pouvais deviner dans la retranscription de sa voix. « Me faire pardonner, rien que ça ? ». « Tout à fait ! En dédommagement pour effacer ma peine je ne vois qu'un verre dans le bar du coin pour m'aider ». « Vous savez que l'alcool est déconseillé après un traumatisme ? ». « Un cocktail de jus de fruits vitaminés dans ce cas. Et pour vous une bière. ». « Et qu'est-ce qui vous dit que j'aime la bière ? ». « C'est ce que tous les anglais aiment non ? ». Étant interprète j'avais pour habitude d'écouter et de distinguer les différentes langues. Ainsi il ne m'avait fallut guère de temps pour me rendre compte avec son accent d'où il venait. « Comment vous... ? J'abandonne ! Mais si ça se trouve je suis un vieil obsédé bedonnant et tout dégarni ? », finit-il par me dire de manière sarcastique. A ce jeu là je pouvais être pire que n'importe qui. « Eh bien vous pourrez au moins vous vanter une fois dans votre vie d'être aller prendre un verre avec à une magnifique blonde au corps de rêve ». Sans plus attendre je me mis à rire aux éclats, entrainant avec moi le garçon qui ne parvenait plus vraiment à s'arrêter. « Je finis mon service dans une heure, ça vous va ? ». « C'est mal de faire patienter une jeune femme, mais je survivrai ».

Un peu plus tard dans la soirée - Le McNeesom

« C'est une habitude chez vous de draguer les médecins qui vous soignent ? », me demanda le jeune homme alors qu'il venait de donner notre commande. « Les médecins, les policiers en fonction, le plombier qui vient chez moi ou encore le facteur.. ». J'affichais une petite moue moqueuse avant de reprendre : « Plus sérieusement si on se tutoyait ? Moi c'est Birdie et toi c'est quoi ton nom l'English ? ». Je sais, difficile à croire que j'avais un tel comportement vu mon handicap. Ça en surprenait plus d'un, ce qui me faisait davantage sourire. « Je m'appelle Garett », me dit-il en étouffant un rire suite à ma remarque. « Alors Garett.. pourquoi la médecine ? ». « Et pourquoi pas ? ». « Ce n'est pas une réponse ça ». « Parce qu'il n'y en a pas ». « Il y en a toujours une ». « Tu as toujours réponse à tout ?». « Il faut bien que j'ai une qualité, hormis mes courbes renversantes ». « Mon dieu je suis tombé sur une folle arrogante ». « Tu as oublié aveugle en plus de ça ». « Non car je faisais seulement mention de tes défauts ». A ces mots je dois avouer que Garett me cloua le bec. Il avait du répondant, de l'humour et en plus le fait que je sois non voyante semblait ne guère lui poser de problème. Et je ne parlais même pas de sa voix qui le rendait terriblement sexy dans ma tête. Mais au vu de mon tempérament je ne pouvais décemment pas fermer mon clapet. C'était plus fort que moi. J'étais donc sur le point de lui répondre de nouveau lorsqu'une horrible sensation me parcourra l'échine. La même que j'avais ressenti ce matin avant de tomber. Patraque, je voulus me lever pour atteindre les toilettes du bar, cependant à peine étais-je debout que déjà je me sentis perdre pied et m'écrouler à même le sol, le son de la voix de Garett résonnant au loin. En l'espace de quelques secondes j'étais tombée dans les pommes.

Je me suis finalement réveillée quelques heures plus tard, de nouveau à l'hôpital St Mary. Intrigué par ce que j'avais, l'on décida de me faire passer une batterie de tests dont notamment un IRM qui permit de découvrir la cause de ces évanouissements soudains : une tumeur. Et oui ! Comme si ce n'était pas suffisant de m'avoir retiré la vue, la vie avait à présent décidé de m'incruster une jolie petite saloperie au bout milieu du cerveau, située à un endroit difficile d'accès si bien que l'enlever pourrait causer ma mort pure et simple. Charmant n'est-ce pas ? Alors pour l'instant je reste clouée dans un lit, attendant patiemment que les neurologues du service en savent d'avantage. Mais il y a une chose que j'ignore, une chose très importante qui pourtant m'est caché par le médecin dont je commence à m'éprendre. Cette tumeur pourrait être la cause de la perte de ma vue étant enfant. L'enlever pourrait donc peut-être me permettre de voir à nouveau.