✈ QUE PENSES-TU DE LA VILLE ? Absolument rien. Je me fous de l'architecture, de la beauté de tel monument historique, ou des centres culturels. Rien ne vaut Paris. ✈ DEPUIS QUAND ES-TU ICI ? Un an. ✈ CROIS-TU EN L'AMOUR ? Oui, l'espoir fait vivre. ✈ QUE REPRÉSENTE LA VIE POUR TOI ? Le prélude de la mort, c'est si fragile! La vie est une chienne que je baise à chaque fois que cela m'est permis. |
✈ Vers les coups de quatre heures du matin, j'prends mon violon et je joue quelques temps. J'ai pas la technique de Vivaldi, mais je partage son goût de la musique. Sinon, complètement bourré, je tente quelques morceaux au piano... Quand je ne vomis pas dessus. J'me prends pour Ray Charles, c'est amusant. ✈ J'ai une petite habitude, peu singulière à vrai dire. Elle consiste simplement à nettoyer ma bécane de fond en comble; c'est à dire pièce par pièce. Et lorsque je suis d'humeur, je détache les pièces, les range, et les remonte. Ca fait passer l'temps. ✈ Autre manie; celle de me passer la main dans les cheveux toutes les trois minutes. Avec un certain raffinement et une élégance remarquable, je coiffe l'avant de mes cheveux dans un effet coiffé-décoiffé des plus réussis. ✈ C'est particulier, dans le bordel qu'est mon studio, il faut que chaque chose soit à sa place. Même dans le désordre le plus total. Si je vois qu'un objet a été déplacé, je me sens foutrement mal. ✈ J'ai aimé une fille. Belle, froide, détestable. Son nom, l'idée de le prononcer me révolte. J'ai cru tout lui donner, cette putain de virginité, un semblant d'amour. Au final, c'était une partie de baise, les prémices de ma déchéance, et une vie volée. |
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never let me go.
Je suis l'homme. Contemplez-le. Sans orgueil ni vanité, je vous offre ma personne. Voici mes lèvres. Charnelles et sensuelles. Cruelles? Oui. Je suis l'homme qui fauche les coeurs et qui ébranle les âmes. Mes lèvres remuant, la parole charme. Car c'est une voix basse et élégante. Mais aussi nuancée; souvent froide, parfois tranchante.
Je suis jeune et la vie est toute à moi. A ma portée, et je peux la sentir du bout de mes doigts. Je me veux dépourvu de scrupules et de craintes. Pourtant c'est l'ineffable silence qui gouverne. Un tableau? La nature morte; la fleur qui fut tantôt éclatante dans sa première jeunesse se fane. Lentement, les pétales se flétrissent, la couleur devient fade. Je ne peux accepter l'éphémère, et les effets dévastateurs de ce temps qui passe.
Et les cheveux d'or s'agitent par une douce brise. L'apparence est un soin, une nécessité. Je ne me leurre pas; la vitrine est plus importante que l'intérieur de la boutique. Même si le contenu est superficiel, vide. Mon physique serait-il plus prometteur que mon âme? L'autre se fonde-t-il seulement sur la finesse de mes traits, sur la justesse de mes discours, et mon regard?
Alors, peu à peu, je m'enfonce dans les eaux troubles de la perdition. Méandres de l'âme! Ô les belles chimères artificielles... Je me laisse entraîner sagement vers les fonds obscurs. Plongé dans cette léthargie, l'inertie engourdit mes membres. Quelques doigts posés tout contre mes temps, qui glissent lentement vers mes joues émaciées. Je voudrais retourner à la surface, vers ces points de lumière. Seul, je ne peux y parvenir.
Je reste l'homme noyé par sa superficialité et par son mal être intérieur. Eh bien soit! Je suis Cézanne, jeune étudiant arrogant, bourgeois, et tombeur de ces dames. Tout comme de ces messieurs. Je reste le dominant, l'impétueux amant! Je m'abreuve aux bouches offertes, je goûte à la saveur des cous exquis, ces promesses d'une jouissance future.
Néanmoins, la réalité de ma pauvre existence apparaît à mes yeux avec une provocante clarté. Le regard vide, j'entrevois mes déboires de drogué. Je peux me vanter, sans grande gloire, d'avoir tout essayé. J'ai fréquenté les êtres les plus répugnants et les plus difformes. Sans la moindre indisposition. Dépourvu de valeurs sociales, je cherche à atteindre mon propre intérêt. Égoïste, narcissique, c'est en fumant, en ingérant, en me tuant, que je vis.
J'ai passé une enfance globalement heureuse; tendrement choyé dans le domaine familial, j'ai laissé libre cours à ma fantaisie. Il y avait un grand parc, tenu à la française. De larges allées proprement dessinées, une vaste pelouse verdoyante et toujours coupée ras. L'herbe fraîchement tondue répandait alors une odeur absolument exquise. Une quantité raisonnable d'arbustes était ici et là répartie. Le visiteur était alors émerveillé par la diversité d'arbres et de fleurs. Au final, mes pas précipités foulaient rarement les voies parfaitement dégagées de ce parc.
Ma préceptrice venait me trouver dans le jardin situé à l'arrière de l'imposante bâtisse. Un monde de féerie s'offrait à moi; voutes en ébène, passage secrets, milles lucioles... « Mon petit lutin, viens boire ton thé ». Cette femme était remarquable, et par sa compagnie, je me suis épris des femmes pour qui j'éprouvais un respect démesuré. La présence féminine a marqué et rythmé ma jeunesse; ma préceptrice, la gouvernante, la cuisinière, et les servantes. Après les leçons, j'allais à leur rencontre et j'écoutais, ravi au plus au point, leurs conversations, leurs préoccupations, leurs sources de satisfaction.
Brillant, vif d'esprit et cultivé, j'étais destiné à une grande carrière. On me prêtait une vie déjà parfaite et déterminée. Mais j'avais un sérieux problème avec l'autorité. Le moindre signe d'une soumission, d'une obligation, me bouleversait grandement. J'étais ébranlé à la simple idée d'avoir un futur défini. Qu'était donc la vie? Des études réussies, un job, se marier, des enfants. Ce cycle me paraissait horrifiant, j'ai pris peur. Lâchement, j'ai fui. J'ai laissé derrière moi les espoirs, les attentes et surtout, les responsabilités. Je suis parti sur les routes, et gaspillant cet héritage illimité qu'était le mien, j'ai succombé aux passions.
J'ai donc volontairement raté ma vie, avec un certain succès je dois le dire. Mais étais-je fait pour cette vie rangée, propre, honnête? Je n'éprouve aucun regrets. Comment peut-on ressentir de l'amertume quand on a pas le choix? Pauvre petit bourgeois parisien. « Oh, mais voici mon elfe qui gambade! ». Même après tout ce que j'ai fait, pensé ou dit, le regard de cette femme est resté bienveillant, et serein. Ma nourrice ne m'a point jugé. Elle était simplement désolée pour moi. Et je sentais toute cette tendresse qu'elle avait pour moi, cette bonté qui était naturelle chez elle. Jamais, je ne me suis senti aussi misérable et petit en rencontrant ce regard attendri. Son honnêteté ne faisait que contraster ma malice. J'en étais malade.
Parfois, dans des heures avancées de la nuit, je convulse, je m'évanouis. Effets secondaires de toutes les drogues, de tous les médicaments. Quand je suis encore en état de comprendre quoi que ce soit, je me traîne jusqu'à l'hôpital et l'on me soigne. Jusqu'aux prochaines crises.