Je marche, au milieu de mes deux meilleurs amies. Je leur souris. «
Je marche quand même mieux que vous, avec des talons. » Au début, elles auraient fait la moue. Maintenant, elles se contentent de me rendre mon sourire en me répondant en choeur. «
Bien sûr, Serah. » Sauf qu'à l'instant même, je manque de trébucher sur un caillou en plein dans le passage. Elles me lâchent les bras, pouffent bruyemment. «
Merdes de chien à l'horizon, » je crie pour les faire sursauter. «
Trop tard, vous avez marché dedans. » Fière de ma vanne, je rentre dans la boutique à l'enseigne qu'on regarde depuis dix minutes. «
Romane, ramène tes fesses. » Elle se pointe, me montre ses dents blanches. Je lui tends un soutien-gorge de grand-mère. Elle me boude. «
Arrête, il t'irait comme un gant. » Machinalement, elle me lâche. «
Sale pute. » Je le prends comme un compliment. Je change de rayon, demande à la deuxième pimbêche de me rejoindre. Elle rentre dans mon jeu, quand elle voit que je lui montre une chemise à dentelles. «
Tu peux mettre ça, toi, » me dit-elle en me présentant une jupe de secrétaire. Je n'ai pas le temps de manifester ma surprise, qu'elle reprend. «
T'as des jambes putain de maigres, tu serais moche avec ça. Non, décidemment. Tu n'es pas faite pour être secrétaire. » Je feins de le prendre mal. «
Est-ce que tu sais, au moins, que je porte ce genre de trucs tous les jours ? » Elle acquiesce. «
Relax, Max. » Elle a toujours le surnom le plus débile coincé au fond de la gorge. J'aurais préféré qu'elle m'insulte, comme la première. C'est plus amusant, moins pompeux. Je me serais lassée moins rapidement. Je lui prends la main, la tire vers une merveille que je viens de dénicher. «
Non, là, j'approuve. T'as du goût. » Je fais mine d'avoir des lunettes de soleil et de regarder par-dessus. «
Comme toujours, darling. » Je la pousse à aller essayer cette trouvaille dans une cabine. Elle ne se fait pas prier. Du fond du magasin, j'entends qu'elle me crie de démissionner pour devenir vendeuse. J'ai toujours aimé conseiller mon entourage sur les achats à faire. Et ces derniers ont sans cesse répondu aux attentes des uns, comme des autres - à quelques exceptions près. Je me prépare à jeter mon dévolu sur une robe à carreaux pourpres, avec une ceinture noire, quand je tombe nez à nez avec des bottines fourrées. «
Celle-là, elles sont pour moi. » Je ne prends pas le temps de regarder autour de moi, alors qu'un beau jeune homme observe ma trouvaille. Je fais volte-face, au moment où je l'entends me demander. «
Je peux ? » J'hésite, j'ai peur qu'il les prenne pour sa copine, ou une femme de sa famille. Cette pensée me pousse à décliner. «
C'est dommage, je vous aurais conseillé. » Je regrette amèrement mon refus, que déjà il tourne les talons. J'ai bien trop de fierté pour le rattraper. Je fais signe à mes amies, occupée dans les rayons, que je passe en caisser régler les bottes. «
Trente-cinq euros. » Je repose la paire de chaussures. Je n'ai pas assez sur moi. La vendeuse me détaille, me fait un prix. Quarante euros. «
Vous avez un problème ? » je lui assène. Tout le monde le sait. Faire un prix, c'est baisser le prix. Pas l'augmenter. «
Non, mademoiselle. » Devant le regard effaré de mes amies, je coupe court à la conversation et décide d'arrêter ma virée shopping. Elles m'en veulent de ne pas m'être fait plaisir, de ne pas leur avoir demander un peu d'argent. Elles m'en veulent d'être comme je suis. Mais elles n'ont pas le choix. Je suis ainsi.
«
Qu'est-ce que tu as fait ? » je demande à mon correspondant, la voix tremblante, l'air horrifié. «
Je t'ai embrassé, Serah. » Cette réponse ne me rassure pas, autant que son ton ne me convient pas. Un sourire accroché au coin des lèvres, il est satisfait. Je me recule, prise de panique. «
Je repars à Montréal demain, Matty. Je vais finir de préparer mes affaires et toi comme moi, allons tâcher d'oublier cette incartade. » Plus je vais me coller contre le mur, plus il s'approche. «
Je ne peux pas faire une croix sur toi, Sessou. Tu as illuminé ma ville, mon New York. Tu as bouleversé ma vie. » J'en ai les larmes aux yeux, mais je les retiens. Difficilement, certes. Néanmoins, je me refuse à continuer de lui donner de faux espoirs. Je ne l'aime pas. C'est un ami, un bon copain. Je ne veux pas le faire souffrir. Pourtant, je sais qu'en tournant en rond, c'est ce que je suis entrain de faire. «
Sors de cette chambre, Mat. Je veux être seule, toute seule, » je lui confie gentiment. Il ne bouge pas, il reste planté face à moi. Instinctivement, je me jette dans ses bras. «
Moi aussi, j'ai passé d'excellents moments avec toi. Mais c'est fini, c'est fini maintenant. Dans quelques mois, je suis majeur. Je vais me marier, » je chuchote lentement. Je ne sais pas pourquoi je mens, je ne sais pas ce qu'il me prend. Sa réaction me surprend. «
Tu vas te marier avec moi. » Il ne comprend pas. À la fois déçue et gênée, je lui crie mes sentiments. Choqué, il tourne dans l'entrebaîllement de la porte, avant de me poser une dernière question. «
Qu'est-ce que tu as ressenti, pendant mon baiser ? » Je suis pétrifiée. J'ai envie de lui dire combien j'ai été émue, touchée, combien j'ai aimé. Au lieu de ça, je lui réponds sèchement, comme à un chien, comme à une merde au milieu du trottoir. «
De la haine. » Il me fait un doigt d'honneur, avant de disparaître de mon champ de vision. J'ai envie de m'écrouler sur mon lit, ou de le rattraper. J'ai envie de me reprendre. J'ai envie de l'aimer. Je n'y arrive pas. C'est au-dessus de mes forces, de mes convictions. Je rentre dans la salle de bains pour me mouiller le visage, le faire baigner dans l'eau froide. Je me sens coupable. Je sais que ses parents ne sont pas encore rentrés alors, du haut de l'escalier, je lui lance. «
Pardon, pardon. Mat, pardon. » Je ne l'entends pas riposter, je ne l'entends pas me rejoindre. Plus sereine, je rajoute. «
J'ai apprécié le contact de tes lèvres. » Je me force à le penser, je me force à ne pas faire preuve d'ironie, une énième fois. J'en suis incapable. Je ferme la petite pièce à clé, de peur qu'il veuille me redonner un baiser. Je ne le supporterai pas, cette fois. Encore moins que la première. Je me rends compte que toute notre relation s'est basée sur des mensonges, autant par lettres, que pendant cette visite que je lui ai rendu. Je me rends compte qu'on ne s'est jamais dit même un brin de vérité. J'essaie de me persuader que ça aurait été différent, si on avait fonctionné autrement. Je n'y arrive toujours pas. J'ai l'impression de ne pas avoir de coeur. Je m'effondre contre la beignoire, désemparée.
J'ai peur. Je marche, je cours, dans les rues de Montréal, à peine vêtue pour la saison et en chaussons, un test de grossesse à la main. J'ai peur d'être tombée enceinte, j'ai peur d'avoir été trop bourrée pour faire attention à la capote que mon partenaire d'un soir aurait mit, ou non. J'ai peur d'avoir été dans ma période d'ovulation. Je pousse un soupir grossier, quand j'aperçois les portes de l'hôpital. Je m'y aventure. Je me dirige vers l'accueil, je demande un médecin. On me dit de patienter. Le personnel chuchote, en me lançant des regards furtifs. En temps normal, j'aurais crisé, ou je me serais vantée. Aujourd'hui, je suis occupée dans ma tête à me repasser les évènements de la soirée pour décrypter ce qu'il se trame derrière mon dos. Je repère toutefois une blouse blanche à l'entrée du couloir, puis une silhouette et enfin une personne qui se jette sur moi. Une femme déterminée, sûrement, à me pourrir ma vie. Elle me ligote les mains, m'emmène dans son bureau. «
Qu'est-ce que vous voulez ? » je lui lâche, sur le point d'exploser. «
Comprendre pourquoi vous êtes venue avec cette tenue. Vous êtes folle, peut-être ? Vous avez besoin de soins ? » Je manque de m'étouffer. «
Vous êtes entrain de me dire quoi ? » Je me regarde sous tous les angles. D'apparence, c'est vrai qu'elle n'a pas tort. Mais je reprends le fil de la discussion. «
Je crois que je suis enceinte, je n'ai pas envie de l'être. Regardez. » Je lui tends le test. Elle le penche sous la fenêtre, sous la lumière du Soleil. Elle me sourit. «
Vous m'avez fait peur. Enfin, l'alerte de mes secrétaires m'a fait peur. » Je suis en présence de la directrice. J'ai honte. Si j'avais seulement pris le temps de m'habiller et me chausser, au lieu de rester dans ce jean trop large et le haut que j'utilise pour peindre. «
Quoi qu'il en soit, vous n'êtes pas enceinte. Vous avez été trompée par les reflets du Soleil, sûrement. » Je souffle. Je respire. Je me sens mieux. Mais l'odeur de cet hôpital m'affecte terriblement. C'est horrible. Je veux m'en aller, une main me retient. Elle m'empêche de partir, me rassure, ne me pense plus folle. «
Repassez ici un jour, dans deux ou trois mois. C'est important. » Je prends peur, j'ai risqué de rétorquer mais je me ressaisis. Je reprends contenance, je m'apaise avant de pousser la porte du bureau de la direction assez luxueux. Je repasse entre les différentes chambres, les différents patients, le dégoût dans la bouche. Je déteste les hôpitaux. Je déteste les maladies graves. Elles me font peur. J'ai peur d'en être victime un jour. Je salue les secrétaires, surprises de mon intervention, avant de m'éclipser. Je ris, toute seule, d'être passée pour une folle. Je ris, de ce reflet qui m'a trompé. Je ris, de la situation de merde dans laquelle j'ai cru être. Je reprends le chemin de mon immeuble, sans me préoccuper du regard des autres habitants.